La perruche, pièce d’Audrey Schebat, mise en scène par le talentueux Alexis Goslain, réunit deux artistes chevronnés, Manuela Servais et Michel Wright, qui incarnent des personnages dans la soixantaine avec une finesse remarquable. Cela se joue jusqu’au 27 avril 2025. Subtile et diabolique.

La comédie débute par une valse hésitation,  puis  les répliques s’enchaînent et déclenchent des rires nourris au sein de la salle comble du théâtre de La Valette, à Ittre. La mise en scène se déroule dans un cadre  bourgeois, composé d’un Chesterfield des années 70 et d’une salle à manger plutôt banale, agrémentée  du lustre en cristal de Venise, symbole des grandes maisons théâtrales. Pour faire  actuel, il y a l’incontournable jeu des téléphones mobiles…

Pour peu, on est dans le réalisme bourgeois d’une  tranche de vie où la question est de savoir si le rôti doit être remis au congélateur ou non…Le couple central de la pièce attend des amis pour dîner, mais ceux-ci ne se présentent pas. Le surréalisme s’installe avec un appel de David, collègue et ami de l’homme, qui annonce un cambriolage mystérieux dans son appartement, le mettant dans l’incapacité de venir. De plus, David est sans nouvelles de sa femme, Catherine, ce qui ajoute une couche d’angoisse à la situation.

Commence alors un échafaudage périlleux. Occupés à imaginer le contexte qui entoure les retardataires, l’homme et la femme s’engagent insensiblement dans une dispute qui s’avère  avoir de très longues racines. Liseron ou chiendent, choisissez! Lui défend son collègue bec et ongles et elle, sa meilleure amie, une stupide perruche, d’après le mari, très condescendant. Un homme carrément râleur, dominant, horriblement suffisant, rien pour plaire! La femme? Effacée, soumise. Potiche? Ou perruche comme sa copine, dixit le mari? D’apparence conciliante et mesurée,  la femme vire, à force, vers l’impertinence. La roublardise ?  Car la tension monte, les rebondissements s’accumulent, l’intimité s’expose de manière cruelle, les retournements de situations font place à un drame domestique pur et dur, celui de la désillusion amoureuse, à l’Est comme à l’Ouest. Alors, que leur réserve ce huis clos grinçant mais franchement drôle à observer côté spectateurs en quête de divertissement? Sujet furieusement contemporain que ce désamour à vif. Écrit en 2018. Joué la première fois par un jeune couple (Barbara Schulz et Arié Elmaleh).  Acclamé partout en France depuis ses débuts à Avignon.

Les différentes manœuvres ne manquent pas de sel, mais que trouvera-t-on finalement derrière l’échafaudage? On n’est plus dans la légèreté d’une volière heureuse, on se sent en phase avec l’acuité des griefs, touché par la profondeur des blessures, la sincérité des sentiments, lorsque les deux protagonistes se volent violemment dans les plumes. Et, chemin faisant, petit à petit, voici qu’éclot dans une maison nouvelle, une femme nouvelle, dans toute sa vérité. C’est une porte jamais franchie, qui s’entrouvre… Avec la vie en face, pas derrière, quel que soit son âge. Cette comédie d’un genre cruel vaut pour ceux qui ont déjà 5, 10, 20, 30 ans de mariage, ou… plus. Elle est portée avec une puissance dévastatrice par ces deux comédiens extraordinairement crédibles et touchants.

Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour le réseau Arts et lettres 

[CRITIQUE] ⭐️⭐️⭐️

La PERRUCHE de Audray Shebat

avec Manuela Servais et Michel Wright, mise en scène Alexis Goslain, assistanat Anne-Sophie Wilquin, éclairages Jean-Loup Vanagt