La Belle et la Bête dans le creuset de pierres séculaires…

Rayonnement de l’intelligence de cœur dans le cadre sublime de l’abbaye de Villers-la-Ville   lors d’un spectacle de magie humaine, de générosité exemplaire, écrit dans une langue ciselée. Loin des contes à trois francs six sous, en version simplifiée ou édulcorée, cette version de La Belle et la Bête enchante par son rythme et sa diction. Heureux les mots-dépendants ! Heureux les amoureux de belle scénographie ! Heureux les visiteurs d’un lieu chargé d’âme !

Grand-messe théâtrale dans l’Abbaye de Villers-La-Ville cet été, à la tombée du jour. Il y a quelqu’un ? On est 900. Chaque année, 20.000 spectateurs se pressent sous les voûtes en ruines. Cette fois, la messe populaire combat les apparences et la violence. En piste – suivez le guide – une fée espiègle, cocasse, omnisciente et… lumineuse. Telle une prof farceuse… (Jeu : une pétulante Bernadette Mouzon).

Trois figures féminines sont convoquées par le texte. Belle : l’innocence, la vertu et la bienveillance pures (Laura Fautré). Deux sœurs caricaturales, deux pestes insupportables et chamailleuses qui ne vivent que pour la galerie, comme dans Cendrillon : Lauriane Jaouan (Fatmé) et Manon Hanseeuw (Lisbé). Et une mère, Reine de son état, une Lagertha absolument guerrière (Marie-Hélène Remacle), tout ce qu’il y a de plus dur, autoritaire et violent.

Dans ce trio explosif, on ne peut que choisir la première. La seule qui ne prône pas la guerre. Une évidence. Mais la pureté idéalisée existe-t-elle ? Jacques Brel ne nous chante-t-il pas « L’inaccessible étoile » ?

En tout cas, on dira un non franc et massif aux apparences, et surtout un Non majuscule à la violence. Notre foule sentimentale a tant besoin d’idéal. Ce spectacle est donc fort rafraîchissant et beau… comme la maladie d’amour.

Côté masculin, deux hommes. Un père (Bruno Georis), adorable et tendre, veuf et ruiné, mais qui vibre intensément pour cette cadette qui n’aime que les roses… Et un prince (Benjamin Ramon), impressionnant, caché sous une peau de bête, victime d’une fée vengeresse et jalouse, un miroir noir de malédiction. Tiens donc, encore une femme ! Et son vœu ultime à cette malheureuse créature ? Essence contre apparences :  être aimé pour ce qu’il est. Rien que cela. Rien d’autre. Le programme de Don Quichotte ?

Sûr que la joie de la métamorphose finale de ce prince blessé dans son orgueil et sa solitude, et enfin libéré du méchant sortilège fait du bien. Même si tout le monde connaît cette fin. Dansons… là où éclôt la magie !

Car les mots dansent. Des éblouissements classiques déclamés dans une diction parfaite enveloppent ce beau spectacle. Des subjonctifs imparfaits, des passés simples. Comme les herbes du même nom. On est dans une abbaye ! Où étiez-vous donc passés ? A la trappe ? Les voici ressuscités, à Dieu ne plaise ! En signe infaillible d’intemporalité, les répliques scandées font briller les mots et les idées comme des lucioles de plaisir dans la nuit. Le tout, teinté de touches d’humour très actuel.

 En effet, le texte choisi par Patrick de Longrée pour exploiter sa scénographie nous vient directement du conte original de Gabrielle‑Suzanne de Villeneuve (1740). Un bijou de français ancien. Le texte est mis en scène par Alexis Goslain, avec les somptueux costumes de Sophie Malacord et Thierry Bosquet, les éclairages contrastés de Christian Sténuit et les illustrations musicales joliment inquiétantes de Laurent Beumier.

Ce spectacle, c’est donc ça : un vrai bain d’humanité. Toutefois, disons que cet entracte imposé est un peu lourd. Pierres, lierre, bière… La foule se trouve canalisée par une équipe nombreuse d’étudiants très souriants. Mais où s’assoir et où rêver ? Et comment ne pas briser l’enchantement ? Soupir ! Mais on quitte les lieux, la rose au cœur, sachant que l’amour ne peut fleurir que dans la réciprocité et le consentement. Le temps d’une heure et demie, on se rappelle que les contes ne mentent pas – ils transforment. Et qu’il est encore permis de croire à la métamorphose.

Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour le réseau Arts et lettres

vu le 17 juillet 2025

https://deldiffusion.be/prochaine-production/la-belle-la-bete

Mise en scène : ALEXIS GOSLAIN

Avec
LAURA FAUTRÉ (la Belle)
BENJAMIN RAMON (la Bête)
BRUNO GEORIS (le Père)
BERNADETTE MOUZON (la Fée)
MARIE-HÉLÈNE REMACLE (la Reine)
LAURIANE JAOUAN (Fatmé)
MANON HANSEEUW (Lisbé)
JONAS JANS (Garde)
ROMAIN MATHELART (Garde)

D’après GABRIELLE-SUZANNE de VILLENEUVE
Adaptation et scénographie : PATRICK de LONGRÉE
Costumes : THIERRY BOSQUET & SOPHIE MALACORD
Éclairages : CHRISTIAN STÉNUIT
Maquillages : GAËLLE AVILÈS SANTOS
Habillage musical : LAURENT BEUMIER
Images vidéo : ALLAN BEURMS
Chorégraphie : SABRINA GERLACHE
Assistant à la mise en scène : JONAS JANS

Produit par RINUS VANELSLANDER Vanelslander & PATRICK de LONGRÉE

ABBAYE DE VILLERS-LA-VILLE
À partir du 10 juillet 2025