C’est toute la musique qui exulte et le temps qui se ploie dans ce concert qui avait tout d’une aventure enchantée.
D’abord, le présent à vif : Recto de Yan Maresz, débute avec des coups de fouet qui se transforment finalement en clin d’œil théâtral : les fameux trois coups frappés avec énergie avant l’ouverture d’un rideau ? Passée la première stupeur, ce sont pulsations mouvantes, temps élastique, énergie rythmique qui électrisent l’orchestre. Sous la baguette inspirée de Kristiina Poska, l’Orchestre Français des Jeunes entre dans une danse inédite du temps. On part à la découverte, ça flotte, ça hésite, ça déséquilibre pour mieux surprendre. Le contemporain s’organise et devient vaste installation créatrice.
Ensuite apparaît la grâce souriante de Chostakovitch dans son lumineux Concerto pour piano n°2, écrit pour son fils, où il déploie une simplicité tendre, une poésie délicate, sans la moindre fioriture. Alexandre Tharaud, tout en élégance et en malice, fait chanter son clavier : tendresse infinie à l’Andante, humour pétillant au final. Une musique qui sourit, qui enchante, berce et caresse, sans jamais être naïve. En pleine complicité avec la cheffe d’orchestre. Quel bonheur !
Après la pause, place au grand conte orchestral immortel, attendu avec impatience. Avec Shéhérazade de Rimski-Korsakov, l’orchestre devient livre de merveilles, mer scintillante, récits murmurés par le violon solo, faste des couleurs, ivresse des timbres. Tout un Orient rêvé, somptueux, envoûtant naît de la minutieuse orchestration et des solos envoûtants. Un violon sublime. Un hautbois surnaturel. Des cuivres retentissants. Une harpe de délices.
Il faut dire que pour l’avoir écouté mille fois, les larmes viennent aux yeux dès les premières notes puis c’est la richesse mélodique, le mystère et les éclats de force et de puissance qui vous subjuguent. On est face à une osmose magistrale de la magie de l’Orient et de l’âme slave. Star of wonder, star of light… En définitive, du jamais vu ou écouté de cette manière, une plongée dans la sensibilité slave. Une vaste bande de jeunes musiciens brillants, venant de tous les coins de la France suit avec passion cette cheffe inspirante et le temps s’efface… La joie pure de prendre racine dans le moindre centimètre carré de la salle. C’est forcément la présence de cette cheffe scintillante et généreuse qui fait respirer toute la matière musicale et la fait vivre intensément. Star of wonder, star of light… Merveilleuse Kristiina Poska qui nous offre un concert tel un miracle de chair et de souffle grâce à sa gestique extraordinaire. Chaque mouvement de ses bras, chaque inflexion du corps, chaque regard, chaque frémissement de sa physionomie insuffle esprit, tension, émotion à la musique, seconde après seconde, note après note. Impossible d’ailleurs de détacher ses yeux de sa personne. Une femme sûre de son cheminement, transcendée par sa passion musicale. Elle raconte, respire et habite les moindres sonorités et harmonies de Shéhérazade.

Dans Recto de Yan Maresz, sa direction sculptait le temps lui-même : pulsations élastiques, déséquilibres féconds, énergie rythmique transmise au millimètre près pour fabriquer du contemporain incandescent.
Avec le Concerto pour piano n°2 de Chostakovitch, elle ouvrait un espace de tendresse et de sourire, portant le dialogue avec Alexandre Tharaud comme on accompagne une confidence : sans jamais contraindre, toujours en éveil. Dans cette merveilleuse complicité évoquée plus haut.
Et dans Shéhérazade, sa gestique prend des allures de danse narrative. Elle peint les mélodies, fait naître les couleurs, libère les solistes, unit l’orchestre dans une respiration commune pour faire jaillir toute la beauté de la partition.
Enfin, au bout de la route, c’est l’explosion de joie finale. Après des bis rayonnants, et des éloges lancés à tous les pupitres, Kristiina Poska quitte la scène en toute simplicité laissant l’orchestre entonner à sa manière, toute la jubilation et le plaisir d’avoir tellement bien joué. On les voit rire, faire chanter dernière fois leur instrument, fanfaronner, danser, s’embrasser. Les percussions s’emballent, la fête est partout, des deux côtés de la rampe ! Et nous étions les invités. Gratitude.
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