Chick, Chloé et Colin. Une guitare électrique emmanchée d’un jeune homme de haute stature, le sourire  éblouissant adorable d’une jolie fille à la chevelure blonde ondulée,  aussi menue qu’une souris aux côtés de son compagnon  à  la barbe noire, Colin, et  …un trou de souris, bien plus grand que nature dans la tapisserie du temps retrouvé, servent de piliers à la   nouvelle adaptation théâtrale de « L’Ecume des jours » de Boris Vian.

 Humour féroce, empire des extases de l’amour,  poésie fantastique, musique du grand Duke, divers fracas du monde, déferlent aussitôt sur des planches brûlantes d’invention. L’inspiration Jazz est omniprésente,  la gestuelle et le parler francophone 2021 s’infiltre innocemment  dans  la mise en scène absolument magique  de Sandrine Molaro et de  Gilles-Vincent Kapps pour le Théâtre de la Huchette à Paris et sans nul doute, nous en faisons vœux, une longue tournée,  débutée à l’Atelier Jean Vilar.

Le texte de Boris Vian est scandé pour la scène par Paul Emond, grand maître  en  adaptations théâtrales, et soigneusement pollinisé. Sa note d’intention est bruissante d’intentions artistiques tout aussi  inspirées   que réussies.  Son texte étincelant est d’un rythme et d’une musicalité intenses. Le pianotail révèle ses moindres saveurs, la danse du biglemoi fait surgir le désir,  l’appartement des lumières s’obscurcit à force de nénu-phares plus noirs que la mort. Et tombe la neige et ses cristaux immaculés sucés sur la langue. La langue de Boris Vian, bien sûr. Elle fouette, elle secoue, elle attache et s’excuse tendrement. Le chat se plie avec bienveillance  aux dernières volontés de la fidèle souris!     

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Parlons aussi de l’immense trou de souris. Il est peut-être un souvenir de tableau de Magritte, ou le trou à raclures de la patinoire  (pas  celles de taille-crayon), ou le lit conjugal des ébats amoureux de Colin et Chloé, ou, la forme du nénuphar dév-horreur. Ou un  simple trou de serrure pour la clef des rêves…  

Prenons ensuite  les trois comédiens changeant sans cesse de cape et de personnages d’hiver ou d’été (à cause des Noces, bien sûr!). Ils sont enivrants.  …C’est eux qui nous promènent avec goût sur les sentiers de l’imaginaire dans une incomparable habileté scénique. Ils se distribuent les rôles comme des enfants dans un jeu de récréation. Selon le principe d’ « incarnation et de désincarnation permanent qui permet un mouvement permanent du dialogue à la narration et donne au spectacle»  …un  incontestable cachet  poétique «  dans un va-et-vient  entre répliques, énoncé, musique et chant ».

Dans la neige scintillante de ce spectacle,  au travers  du rêve  teinté des nuages roses du texte  et de soleil couchant embaumé de parfums délicats,
il reste deux traces parallèles et dévorantes. On est frappé par le parallélisme entre l’addiction de Chick à Jean-Paul Sartre dont on entend parfois bourdonner le débit atrocement sérieux, et la mort grandissante fermement installée dans les poumons de Chloé. Un crescendo de douleur. 

  Maxime Boutéraon,  principalement  personnage de Colin, est bouleversant.  Antoine Paulin,  un Chick magnifique, et splendide dans tous ses rôles, de Nicolas le majordome, à Jésus Christ compatissant et silencieux.  Et Florence  Fauquet? Une diction exquise et un bouquet de jeunesses  piaffantes et belles, des roses vivant simplement  le bonheur d’exister. Beautiful people. 

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Le spectacle se ressent comme un bienfaisant bain de sensations de jouvence. Il se déguste en mode « carpe diem »  avec délectation, tant et si bien, qu’à peine terminé, on le reverrait bien en boucle  continue, pour le charme, l’émotion, l’euphorie, et malgré la tragédie. Car c’est justement le côté artistique intense, côté cinq étoiles d’ailleurs,  qui fait mouche et  réjouit tant le cœur, et l’esprit, et tous les sens. Tant de grâce! Temps de délices. Tant d’amour. Et tant qu’à faire, condamner en pieds de nez magistraux, l’argent, la guerre et le travail obligatoire, les vrais et  gigantesques fossoyeurs de nos vies.

  • Metteuse en scène : Sandrine Molaro
  • Metteur en scène : Gilles-Vincent Kapps
  • Interprète(s) :  Florence Fauquet, Maxime Boutéraon, Antoine Paulin
  • Lumières : Laurent Béal
  • Scénographe : Erwan Creff
  • Musiques : Gilles-Vincent Kapps
  • Costumes : Julie Allègre

   Dominique-Hélène Lemaire

https://www.atjv.be/L-Ecume-des-jours-1819 Du 22 au 27 novembre 2018 Au Théâtre Jean Vilar – Louvain-la-Neuve

Infos et réservations : 0800/25 325 –