Belle comme une actrice du muet ? Coiffée comme une Mary Nolan? Mais Marianne a les mots ! Elle ne se tait pas. Fraîche émoulue du couvent, elle a la voix de l’innocence, de la piété et de la fidélité au mari qu’on lui a donné. De la douceur, certes, mais aussi la voix de la dignité de femme, cette fermeté, l’ironie, l’humour, la distance et enfin une sainte colère qui balaye tout sur son passage et qui n’a rien à voir avec des caprices!

« Qu’est-ce après tout qu’une femme ? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule. Une femme ! c’est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire, quand on en rencontre une : Voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières, que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : « Voilà peut-être le bonheur d’une vie entière, » et qui la laisserait passer ?» Elle sort.
L’admirable comédienne se nomme Stéphanie Van Vyve et brandit le verbe avec douceur convaincante. Stéphanie, c’est un charmant huit mars ambulant! Le propos de Musset est ultra-moderne et ne fleure aucunement les vieilles dentelles. Avant-gardiste même. Texte prophétique de ses souffrances à venir, il a écrit ce texte quelques temps avant de rencontrer l’amour de sa vie: Georges Sand.

Fatalisme
Les émois sont à couteaux tirés. La part du destin est à fleur de texte.Comme dans les tragédies grecques, une malédiction transgénérationnelle s’est transmise de mère en fils. Scène 2 Acte I, dans un échange émouvant, Coelio apprend le passé tragique de la vie affective de sa mère. Qui d’autre qu’ Anne -Marie Cappeliez pourrait mieux interpréter ces sombres confidences? Suivra -t-il ses pas ? Le comédien craquant et tragique se nomme Fabian Finkels. C’est lui qui ouvre le bal des sentiments à sens unique! Petit Poucet rêveur dans l’immensité solitaire du décor…

Soulignons l’épure du décor voulue par Alain Leempoel le metteur en scène : ces deux voies qui se croisent comme dans un nœud du ciel, derrière lesquelles on se plaît à imaginer la Méditerranée, et cet humus au sol, des écorces de châtaigniers au pied des palissades pour dire la condition humaine et son emprisonnement. Symbolisant la Passion: La Croix en plein ciel. Dona eis pacem.
Ce spectacle a donc fait vraiment sensation le jour de la première: dépouillement scénique, tout se joue sur ces deux routes corses qui donnent le vertige. Le jeu de scène est aride comme un chemin de croix: huit personnages fantastiques sous un soleil de guerre. Les costumes sévères et sombres, à l’exception de celui de Marianne en dévote fille de Marie, sont ceux des villages sans âge et des drames séculaires.

Philippe Jeusette? Au top, en juge sanguin. En homme de Magritte au chapeau et par-dessus,mais sans son parapluie – il ne pleut pas en Corse – il vole en plein délire passionnel…
Fabian Finkels qui joue Coelio est absolument bouleversant dans son rôle d’ami, de fils, d’amant et de Gavroche. Octave, joué avec grande sensibilité par Tristan Schotte l’hédoniste invétéré, volage, friand de bon vin, de bonne chère et d’amours éphémères est de plus en plus attachant et gagne en profondeur. Il conclut la pièce par une vérité déchirante qui tue toute coquetterie. Entre temps on aura pleuré avec lui :
« Coélio était la bonne partie de moi-même; elle est remontée au ciel avec lui. »

L’ensemble est bercé par une diction et une langue parfaite! C’est la musique de la passion, de fond en comble! Comme cela vibre! Vive la Corse! Et ses polyphonies: des frissons de spleen et de bonheur.
Coelio? Sacré petit Poucet rêveur! Il dort…… un pied près de son cœur.
Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres
Avec Anne-Marie CAPPELIEZ, Fabian FINKELS, Stephan FRASER, Philippe JEUSETTE, Jacqueline NICOLAS, Xavier PERCY, Tristan SCHOTTE, Stéphanie VAN VYVE, Jean-Michel VOVK
Mise en scène Alain LEEMPOEL
Assistanat Catherine COUCHARD
Scénographie Catherine COSME
Costumes Jackye FAUCONNIER
Maquillages Patricia TIMMERMANS
Lumières Laurent KAYE
Décor sonore Loïc MAGOTTEAUX
Photos de Zvonock Light Knight
Théâtre Royal du Parc – « Les caprices de Marianne » Alfred de Musset – avec Stéphanie Van Vyve et Fabian Finkels, à Théâtre royal du Parc.
du 5 mars au 4 avril 2020 – Bruxelles : Théâtre Royal du Parc
Réservations : +32 (0)2/505 30 30
Contact email
www.theatreduparc.be