Au théâtre ce soir… Une fabuleuse volière de talents artistiques de très haut vol. L’arc-en-ciel du bonheur théâtral à l’œuvre. La prose distinguée de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux dit Marivaux, accueillie avec humour et légèreté dans notre monde en mal de lumières. Il y a tout cela dans « Le jeu de l’amour et du hasard » (1730) présenté ce soir au théâtre royal du Parc. Mille bravos !

Jeu ! Cette pièce de Marivaux vole à notre secours. Elle s’avère gorgée d’espoir, brillante, colorée, mobile, limite, acrobatique. Totalement dynamique et ascensionnelle. Tout virevolte à un rythme effréné. Ils jouent haut et sans filets, ces six comédiens éblouissants !

Aux changements de tableaux, comme pour calmer le jeu, chaque personnage a l’occasion de vivre un moment unique de gloire, lors d’un délicat solo en play-back, qui contribue à peindre ses émois. Sacrée trouvaille qui fait infuser le texte à la manière d’une tasse de thé invitant au rêve.

Il est vrai que le spectacle nous plonge dans le ravissement d’un univers lumineux digne d’un l’âge d’or convoqué sous nos yeux : s’il vous plaît, quand vous partez, n’éteignez pas la lumière ! Aux commandes de cette symphonie lumineuse, il y a le magicien Philippe Catalano. Côté oreille, la musique de scène originale est confiée à Guillaume Istace. Inspirée de l’univers de Vladimir Cosma, elle donne des tonalités cinématographiques à l’ouvrage. Cela rappelle toute une époque… une jeunesse joyeuse. Insouciance, quand tu nous tiens ! Dreams are my reality. . .

Daphné D’Heur, créatrice dans l’âme, orchestre l’ensemble et nous offre un spectacle exquisement distrayant et mouvementé qui nous plonge dans des jardins secrets, au propre comme au figuré. Les amoureux de labyrinthes et buis taillés apprécieront les courbes des collines mythiques et une nature ciselée … à l’image de la langue de cet auteur du XVIIIe qui ne cesse d’enchanter, de résonner et de nous amuser. Elle est bien aidée par la scénographie pétillante de Thibaut De Coster et Charly Kleinermann.

L’amour y fleurit, loin des contraintes sociales. Il est pur magnétisme. Passion et désir flambent de mille feux dans le jeu fascinant des six comédiens. Quel… cinéma !

Ici se joue donc une superbe comédie de sentiments, où le langage est clairement révélateur de la personnalité.  Une œuvre qui marque le début d’une société française en évolution qui mènera à la Révolution.

Silvia, fille de Monsieur Orgon, veut tester les sentiments de son prétendant Dorante en se faisant passer pour Lisette, sa suivante. De son côté, Dorante a décidé de faire de même sous le nom farceur de Bourguignon. Ainsi, Lisette et Arlequin, simples valets, se retrouvent soudainement en position de maîtres. Préparez-vous aux délices des transformations!

L’ensemble se déroule sous le regard aimant et protecteur d’un père génial, Emmanuel Dell’Erba, un formidable deus ex machina, observateur très fin et bienveillant des passions humaines, jumelles à l’appui !

Atout cœur pour Quentin Minon, dans le rôle de Dorante, dont la courtoisie et les nobles sentiments ruissellent sur ses habits de valet. Face à lui, aussi vive que notre très regrettée soprano belge qui nous quittait l’an dernier dans la fleur de l’âge, il y a une pétulante Silvia, sûre de sa voix, de ses mimiques foudroyantes, de ses manipulations de soubrette improvisée, prête à semer un plein panier de subtiles graines de libération féminine. Quel tempérament que celui de Phèdre Cousinie Èscriva !

Hautement éloquents, physiques, fait de véritables bâtons de dynamite, le couple Lisette-Arlequin, est explosif, drôle, piaffant, impertinent. Dans la pure tradition de la Commedia dell’arte. Les deux domestiques, élevés pour un temps au rang des puissants, déchaînent un moteur ininterrompu de rire et de comique. Il est jubilatoire, ce pendant populaire au couple prédestiné de Silvia et Dorante. Vous voulez des noms ? Laurie Degand et Antoine Minne.

Pour corser le tout, Mario, le frère de Silvia, est aussi de mèche et joue adroitement le rôle du rival amoureux, question de brouiller les pistes dans le précieux labyrinthe de sentiments. Élégamment joué par Benjamin Van Belleghem au costume tiré à quatre épingles.

Un mot final d’ailleurs, pour l’épatant défiler de costumes, au sens actif du terme. Ils sont audacieux, inventifs, bariolés à souhait. Bravo à la force imaginative ou subversive de …Chandra Vellut ?

Par ses multiples reflets et son extraordinaire sortie du cadre, le spectacle est quasi hors du temps et frise le surréalisme jusqu’à flirter avec les élans poétiques  et moqueurs d’un Boris Vian. Qui donc ne se sentirait pas transporté ?

Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour le réseau Arts et lettres 

[CRITIQUE] 

Avec
Emmanuel Dell’Erba – Mr. Orgon
Antoine Minne – Arlequin
Benjamin Van Belleghem – Mario
Laurie Degand – Lisette
Phèdre Cousinie Éscriva – Silvia
Quentin Minon – Dorante

Mise en scène Daphné D’Heur
Assistanat Catherine Couchard
Scénographie Thibaut De Coster, Charly Kleinermann
Costumes Chandra Vellut
Lumières Philippe Catalano
Création musicale Guillaume Istace
Maquillages Orane Damsin

Photos de Aude Vanlathem

Du 16/03/2025 au 12/04/2025

Réservations au 02/505 30 30 ou sur le site du théâtre & billetterie@theatreduparc.be