résiste à tout, sauf à son enfant! | ||
Les chants les plus désespérés sont les chants les plus beaux. A ce titre, le roman de Carole Martinez est très, très beau. Troquant son voile de mariée contre son gré, contre celui de nonne murée vivante dans une chapelle, en plein temps des croisades, la jeune Esclarmonde se donne à Dieu pour l’éternité et garde sa dignité et sa liberté d’être. Quitte à se trancher une oreille, pour mieux entendre. Pure et sainte par le sacrifice de la réclusion pour les autres, elle acquiert des pouvoirs quasi magiques. On retrouve le souffle épique du « Cœur cousu » très approprié à une histoire du Moyen-Âge. Est-ce son rôle de bouc émissaire ou sa capacité d’écoute et de compassion qui la rendent capable d’arrêter la Mort en personne ? De transfigurer un homme qui déflorait en série les jeunes filles dans les bois en un paisible ménestrel accompli? La langue est belle et enluminée comme déjà elle l’était dans « Cœur cousu ». Puis cette broderie d’Epinal est soudain fracassée par une réalité humaine qui dépasse de loin le mysticisme! C’est violent, sauvage, charnel, plus puissant même, que Gauvain, le cheval mythique qui hante l’imaginaire des villageois comme celui des preux chevaliers. Cela incarne la révolte de la vie. Cela met en scène l’amour inconditionnel que (seule) la femme peut éprouver dans sa chair et dans son âme, cependant que l’homme guerroie ici et là. La souffrance de la femme est plus incandescente que toutes les tortures de l’enfer. La méchanceté des manants est incommensurable. Foule, assoiffée de sang et de bûchers, comme je vous hais! Mais la puissance poétique de la conteuse nous ouvre le paradis des mots. |