chanson de Roland du 20e siècle | ||
« L’Histoire immortelle accomplit des choses étranges en croisant la trajectoire de l’amour des corps mortels ». Comme une lointaine cloche fidèle, cette phrase nous convoque régulièrement dans l’intimité du couple héroïque, libre, attachant et aventurier d’Inès et de Galan, à la manière des chansons de geste. Elle souligne les détours importants du récit historique, lui donne une épaisseur charnelle et affective. Elle nous rassure sur l’humanité en marche.
Almudena Grandes met en scène les convulsions de familles divisées par les opinions politiques dans l’Espagne franquiste. Elle met en scène les douloureuses luttes intestines d’un parti communiste qui se cherche et d’une république qui veut naître au coeur de la guerre civile. Vaste découverte pour beaucoup d’entre nous de ce côté des Pyrénées. L’auteur fabrique une fresque historique dont les lecteurs les plus passionnés iront -pris au jeu- vérifier les faits souvent ignorés, dans Wikipedia. Un souffle généreux et romanesque et l’humour sous-tendent cet ouvrage ambitieux et adoucissent le sérieux obligé et un peu didactique d’une telle entreprise. Les évènements commencent en 1939 et se terminent dans les années 60. Histoire de construire plusieurs généalogies de familles résistantes et réfugiées en France. Histoire de vous perdre dans des noms à rallonges qui changent selon les besoins de la clandestinité. Si cette œuvre d’Almudena Grandes s’abstient de juger, elle expose l’histoire avec brio et force évocatrice. Mais en plus, c’est toute une péninsule ibérique, ses contradictions et sa culture qu’ Almudena Grandes nous donne à voir, à entendre, à sentir, à toucher et à goûter. Malgré la tragédie de l’ Histoire oblitérée qu’était cette de la reconquête donquichottesque du pouvoir, avec l’aide des Alliés et de la population locale. Car de toutes ses forces de femme, elle condamne la violence. Qu’elle vienne du franquisme et ses compromissions malodorantes ou des batailles suicidaires des communistes rêvant de liberté et de pluralité. De toutes ses forces de femme, elle poursuit le rêve de liberté. Almudena Grandes, comme son héroïne est mue par la joie elle aussi. Celle de la recherche de la vérité. Elle joue sans cesse à imaginer ce qui aurait pu être si «la trajectoire de l’amour des corps mortels n’avait pas traversé L’Histoire immortelle» Ce périple qui nous promène dans les magnifiques paysages de Toulouse à L’Espagne est palpitant. Une chanson de Roland du 20 è siècle avec ses trahisons et ses cruautés et son joyeux idéalisme, parfois pathétique. La lutte courageuse contre l’ordre établi devient un manifeste joyeux pour la dignité de la femme et la poursuite de l’idéal. Une bataille que l’auteur gagne haut la main et qui fait le bonheur des lecteurs, malgré le nombre de pages. |