Découvertes
Au Lille Piano(s) Festival, nous avons assisté avec grand bonheur le samedi après-midi à deux concerts avec l’ Orchestre de Picardie dirigé par Arie van Beek. Et dans les deux rencontres musicales nous avons été charmés par la qualité des prestations. Deux séances très intenses : L’une à 16H30,l’autre à 18H30 à l’auditorium du Nouveau Siècle à Lille, avec d’abord les solistes Frank Braley et Romain Leleu, puis, Adam Laloum.

Au programme : la Fantaisie Concertante pour trompette, piano et cordes de Beintus et le Concerto pour piano n°1 en do mineur, pour piano, trompettes et cordes de Chostakovitch, puis les Concertos pour piano n° 24 et 27 de Mozart.
***** Né à Toulouse en 1966, Jean-Pascal Beintus a étudié la contrebasse et la composition dans les conservatoires de Nice, Lyon et Paris. Lorsque John Eliot Gardiner créa le Lyon Opéra Orchestra en 1983, il a choisi Jean-Pascal Beintus comme contrebassiste fondateur. Le compositeur s’est rapidement construit une réputation de compositeur et d’orchestrateur fluide et polyvalent, recevant de nombreuses commandes prestigieuses. Depuis lors, il a écrit de la musique pour presque tous les types d’ensembles, ainsi que pour le théâtre, les salles de concert et les films. Ses compositions se caractérisent par leur richesse harmonique, leur jeu métrique inventif et leurs orchestrations luxuriantes. Les commandes récentes proviennent du Philharmonique de Berlin « Il a son rythme » un hommage à George Gershwin, de l’Orchestre national russe « Wolf Tracks », de l’Orchestre Hallé « Couleurs cuivres », de l’Orchestre symphonique de Berkeley « Luna Tree » et « Bremen Town Musicians », du Philippin Orchestre philharmonique « Symphonie de Kobe », l’Orchestre de Paris « Cordes et lames », l’État de Californie « Manzanar: une histoire américaine », le Massachusetts Institute of Technology « Nature Suite » et le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin « Le Petit Prince ».Voilà donc le cadeau que Le festival de pian(o)s 2019 a fait à ses spectateurs en leur permettant de découvrir ce compositeur chatoyant !
Mais auparavant…
Nous avons pleinement apprécié une magnifique promenade au cœur d’arrangements célèbres, concoctée par Kotaro Fukuma dans son récital « L’art de la transcription ». La salle Québec du Nouveau Siècle étant comble.

Musicien voyageur, Kotaro Fukuma, jeune pianiste basé à Berlin, nous a interprété différentes transcriptions réalisées par Hess pour l’incipit de son récital « Jesus bleibt meine Freude ». Ensuite plusieurs transcriptions de Liszt : Erlkönig et Ave Maria de Schubert, puis le wagnérien Tristan und Isolde, avant de paraphraser Rigoletto de Verdi. Le soliste au toucher souple et feutré nous fait vagabonder entre élévation, bulles aigües farceuses, accords puissants diaboliques aussitôt balayés par le silence. Dans son « Ave » ce sont les peines et l’orgueil du monde qui sont offerts. Les arpèges de la main droite entraînent à leur suite une main gauche conquise, unifiée. Be one !
Avec Isolde, ce sont scintillements, joie enfantine, valse joyeuse et cœur en fête aux accords d’octaves retentissants. Verdi est marcato, et virtuose, tout à l’envers du Casse-noisettes qui suivra ! La danse de la fée Dragée est envoûtante, à la naissance des rêves. Mais non, c’est le pianiste qui envoûte ! On tangue dès lors dans un océan pianistique, sur un Andante maestroso. Puis appâtait Satie arrangé par le soliste Fukuma dans une belle élégance de couleurs et un tempo de valse. Confiner la violence du monde, même si elle st inévitable ! Et puis survient « La Vase » de Ravel. Kotaro Fukuma brandit les mondes cassés, le bruit et la fureur et puis l’espoir, des germes de renouveau remontés comme on remonte une horloge antique. Avec précision et respect. Le toucher est délicat, ne pas casser les fragilités. Le thème insistant, lui jamais ne se démonte. La sève des notes médium relancent l’espoir et les frissons de la valse. La lumière du monde défait la pluie de guerre et de feu. La douceur des mains sur le clavier chante la force de vie. L’artiste n’abandonne jamais la partie, il a une philosophie de phénix. Il est bouleversant de contempler un homme jeune et puissant, placide au cœur du chaudron de l’humanité. Il a tout donné. En Bis encore un arrangement, Charles Trenet, puis, Offenbach. Volubile ?

L’orchestre de Picardie
Débarquons maintenant au Nouveau Siècle, ou s’impatiente le public de l’orchestre de Picardie.
Avec Frank Braley au piano, en allumeur de réverbères dans une composition très expressive et convaincante. Fiat musica ! Tout d’abord, dialoguant avec Romain Leleu, le pianiste s’abandonne ensuite dans la cadence chargée de chaudes couleurs. En même temps on se prend à rêver d’un berceau de feuillages au travers desquels transparaîtrait la lumière. L’orchestre sous la baguette d’Arie van Beek tressaille comme une forêt de bruissement mystérieux. Puis on capte cette trompette en plein spleen ! Mariage secret des deux instruments: la trompette rutilante et le piano étincelant. Une leçon d’humilité pourtant. La main gauche batifole librement, à la manière d’une harpe. La cadence du piano décalque le thème des cordes, un bijou d’empathie. Regards croisés et silence. Moderato attaco ? C’est le panache final et on a eu un vrai coup de couper pour l’œuvre de Jean-Pascal Beintus : « Fantaisie concertante pour trompette, piano et cordes» Il s’agit d’une commande de l’Orchestre d’Auvergne et de l’Orchestre Royal de Chambre Royal de Wallonie, création en juin 2018) / Frank Braley, piano – Romain Leleu, trompette. Du pur bonheur!
Et Le Concerto pour piano n°1 en do mineur, pour piano, trompettes et cordes de Chostakovitch se révélera tout aussi nourri de couleurs et d’accents passionnés. Le chef d’orchestre bondit, bénit et dénoue les voix des pupitres en gestes ronds et à mains nues. Jazz, Beethoven ou Prokovief? Frank Braley reprend les arabesques en entrelacs savants. Les trois premières notes graves du début au piano forment un sombre duo avec la trompette. Dans le Lento, les suraigus des violons tranchent avec le piano méditatif. Les méandres d’une souffrance à peine contenue ? Poignante, une petite mort ? L’instant du dernier envol de l’âme ? Sur quoi se greffent des facéties d’enfant terrible et le battement obstiné et le rythme ailé des sentiers de la victoire. Presque une marche de petit soldat automate. Tout le monde au pas ? On en frémit ! Mais la fantaisie du pianiste délivre de tout mal ! Il conduit le chaos en maître du jeu, se fâche et plaque une série d’accords incisifs et victorieux sur le clavier qu’il abandonne pour revenir, avec Romain Leleu et Arie van Beek saluer maintes fois, tout sourire, victimes de plusieurs rappels du public enthousiaste.
… Demeurez à l’affût, Arts et Lettres vous parlera du deuxième concert de l’orchestre de Picardie sous la direction d’Arie van Beek et d’Adam Laloum dans notre article suivant! Et aussi du concert du soir, avec Nelson Frère ! That’s all folks!
Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres
