Eblouissante Jodie Devos en Philine à l’Opéra de Liège dans « Mignon »
Pour la deuxième fois en quelques semaines, après une superbe prise de rôle dans « Rigoletto » de Verdi, voici la soprano belge Jodie Devos, dans une nouvelle production sur la scène liégeoise si chère à son cœur. Elle nous offre ses extraordinaire talents lyriques dans « Mignon » d’Ambroise Thomas (1866), vedette musicale du second empire, l’un des tous grands compositeurs dans la tradition romantique française.
Jodie Devos s’y montre absolument étincelante lorsqu’elle interprète le rôle de Philine, une coquette étourdissante, pour laquelle elle déploie une construction prodigieuse d’effets de pyrotechnie vocale. Notre favorite fait preuve, une fois de plus, d’une présence scénique d’un naturel saisissant, rassemblant aussi bien l’ élixir des personnages féminins de Molière que celui des coquines d’Offenbach, créant sur scène un éternel féminin éblouissant et ravageur. Actrice dans une mise en abîme propre au livret, elle se mue en blonde platine : la Tatiana reine de la nuit du « Songe d’une nuit d’été » et balance sans vergogne entre l’orgueil de la reine Grimhilde et la séduction de Marilyn. I un incomparable cocktail théâtral! Le plateau est alors devenu un vaste miroir, aussi fascinant qu’un lac glacé qui peut avaler les jeunes imprudentes qui s’y aventurent.

Mignon a été créé en novembre 1866 dans la prestigieuse salle Favart de l’Opéra-Comique pour divertir la bourgeoisieet au cours des 50 années qui suivirent, il sera jouée près de 1.500 fois partout en Europe. De huit ans l’aîné de Berlioz, Ambroise Thomas, professeur de composition au Conservatoire de Paris, aura parmi ses élèves Jules Massenet et Théodore Dubois. En 1871, à la mort de Daniel-François-Esprit Auber, Thomas sera nommé directeur du Conservatoire de Paris, qu’il dirigera pendant 25 ans.
Le spectateur est emmené dans un monde envoûtant et débordant d’imagination dès l’ouverture. Tout au long du voyage initiatique théâtral, on suit avec grand intérêt l’éducation sentimentale du jeune Wilhelm Meister dans un souffle vivant et contemporain de magnifiques tableaux. Le chef d’orchestre entraîne l’audience dans une mosaïque d’émotions qui enchaîne en virtuose le suspense, les effets théâtraux, la danse, le pittoresque, les trios, quatuors et sextuors dans une atmosphère poétique pleine de relief. Harpe, flûtes, cors et clarinettes dominent la chatoyante rêverie. A la direction musicale pleine de finesse et de précision de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, avec la participation de l’orchestre du Conservatoire royal de Liège : Frédéric Chaslin.

L’œuvre se base sur le roman de Goethe, écrit un siècle plus tôt : Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (Wilhelm Meisters Lehrjahre). Mais c’est l’Italie que le compositeur, très jeune lauréat du prestigieux Prix de Rome à 22 ans, exalte particulièrement.
Connais-tu le pays où fleurit l’oranger?
Le pays des fruits d’or et des roses vermeilles,
Où la brise est plus douce et l’oiseau plus léger,
Où dans toute saison butinent les abeilles,
Où rayonne et sourit, comme un bienfait de Dieu,
Un éternel printemps sous un ciel toujours bleu!
Hélas! Que ne puis-je te suivre
Vers ce rivage heureux d’où le sort m’exila!
C’est là ! c’est là que je voudrais vivre,
Aimer, aimer et mourir!
Connais-tu la maison où l’on m’attend là -bas?
La salle aux lambris d’or, où des hommes de marbre
M’appellent dans la nuit en me tendant les bras?
Et la cour où l’on danse à l’ombre d’un grand arbre?
Et le lac transparent où glissent sur les eaux
Mille bateaux légers pareils à des oiseaux!
Hélas! Que ne puis-je te suivre
Vers ce pays lointain d’où le sort m’exila!
C’est là ! c’est là que je voudrais vivre,
Aimer, aimer et mourir!
Stéphanie d’Oustrac, arrière petite nièce de Francis Poulenc interprète le rôle de l’androgyne Mignon, qui est une enfant volée par des gitans pour se muer en reine de cœur révélée. Ses diverses métamorphoses extraordinaires, aussi bien vocales que textuelles et scéniques se voient applaudies avec feu par un public heureux de découvrir cette œuvre complexe sur notre scène belge. Le personnage de Mignon qu’elle incarne dans un passionnant jeu de cache-cache est en soi une question vivante : celle des mystérieuses origines, de l’identité, du réel et du rêve.

Il faut aussi savoir que lors de sa création, Mignon avait une fin heureuse, comme c’était la norme pour les opéras de l’Opéra-Comique. Mais lorsque l’opéra a été traduit en allemand, le public allemand n’a pas apprécié ni l’absence de dialogues parlés, ni l’absence de fin tragique de l’original de Goethe, où Mignon, à la vue de Philine, tombe morte dans les bras de Wilhelm. Ainsi Thomas s’est empressé de corriger sa copie ! A Liège, c’est la version allemande qui a été préférée, mais avec un clin d’œil de magie théâtrale en prime, pour la beauté et la cohérencede la mise-en scène signée Vincent Boussart, des décors de Vincent Lemaire et des costumes resplendissants de Clara Peluffo Valentini. Aux lumières on trouve Nicolas Gilli et Nicolas Hurtevent à la vidéo. Crinolines et chapeaux haut de forme, coiffes de dentelle à la Georges Flaubert, et des couleurs du Bal du Moulin de la Galette habillent le chœur qui se divertit dans le parterre d’une esquisse impressionniste de la salle Favart en arrière-plan, où doit se jouer ce « Songe d’une nuit d’été ». Et le reste, c’est une plongée dans les coulisses énigmatiques d’un voyage initiatique qui traverse toute époque.
Les rôles masculins sont tous de très grande consistance. En tête, le ténor nantais Philippe Talbot, séduit par la générosité et la délicatesse de son chant qui projette à tout moment la chaleur des émotions de Wilhelm Meister. La majestueuse basse française Jean Teitgen incarne le noble et paternel Lothario, qui protège et berce Mignon, avec des accents de tendresse faits de basses chatoyantes bouleversantes qui s’évaporent dans des aigus lumineux.
De son coeur j’ai calmé la fièvre!
Un sourire doux et joyeux
À ma voix entr’ouvrant sa lèvre,
Le sommeil a fermé ses yeux.
Pauvre enfant!
Dieu te protége et te défend!
Dors en paix! dors, pauvre enfant!
Le spirituel Laërte compagnon d’armes de l’actrice Philine, c’est la « révélation lyrique de l’année » aux Victoires de la musique en 2016 : le ténor Jérémy Duffau. Beaucoup d’humour et de légèreté, bref, il adjoint au spectacle une rafraîchissante dose de comique. Frédéric, un des soupirants de Philine est fort bien interprété par Geoffrey Degives tandis que le brillant Liégeois Roger Joakim excelle dans son rôle de Jarno, le chef haut en stature et en couleurs des bohémiens.

Dominique-hélène Lemaire pour Arts et Lettres
Des brassées de roses pour les artistes !
Info & Réservations : https://fcld.ly/mignon
Magnifique reportage sur l’Opéra royal de Liège, visite dans les coulisses de la vénérable institution . Dans les coulisses de l’ Opéra Royal de Wallonie-Liège, à la rencontre des travailleurs de l’ombre. Machinistes, accessoiristes, costumières, maquilleurs, perruquiers … Une incroyable et talentueuse fourmilière artistique ! Après la pub, bien sûr!
Direction musicale : Frédéric Chaslin
Vincent Boussard, Mise en scène
Vincent Lemaire, Décors
Clara Peluffo Valentini, Costumes
Nicolas Gilli, Lumières
Nicolas Hurtevent, Vidéo
Denis Segond, Chef des Chœurs
Mignon – Stéphanie d’Oustrac
Wilhelm Meister – Philippe Talbot
Philine – Jodie Devos
Lothario – Jean Teitgen
Frédéric – Geoffrey Degives
Laërte – Jeremy Duffau
Jarno – Roger Joakim
Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Mignon
Orchestre et Chœurs
Opéra Royal de Wallonie-Liège
Participation de l’ Orchestre Conservatoire Royal de Liège
pour revoir l’opéra gratuitement: https://www.operaliege.be/actualites/replay-revoir-gratuitement-mignon-dambroise-thomas/