Klarafestival  Mars 2022

La musique, un instinct de survie. Les salles de concert sont des lieux privilégiés de rencontre, des lieux d’écoute collective où l’on se retrouve pour célébrer, s’émerveiller, découvrir. Se faire traverser par le plaisir du lien et du partage.  C’est précisément la dimension de rassemblement physique  et humain qui a inspiré le titre de cette édition du nouveau Klara Festival, « Let’s stick together »  Et le bonheur de ressentir une appartenance à des valeurs communes.

Du 11 au 27 mars 2022, il y aura  en tout 25 concerts  entre  Bruxelles,  Bruges et Anvers accueillant la crème du monde musical avec des œuvres phares et des musiciens de renommée internationale : Maurizio Pollini, le Bayerisches Staatsorchester ou encore The Orchestra of the Age of Enlightenment.  De somptueux rendez-vous avec la Passion selon saint Jean de JS Bach, le Requiem de Campra ou la Septième symphonie de Chostakovitch.   Sans oublier les nouveautés. Ainsi, une équipe de jeunes artistes s’attèle au ballet Peer Gynt de Schnittke, le metteur en scène Luigi De Angelis aborde la musique de Scarlatti, Pärt et Andriessen, et le théâtre Les Tanneurs se transforme en plage artificielle pour  une performance-opéra: Sun & Sea. 

La soirée d’ouverture du 11 mars 2022 accueillait à Bozar une production flamboyante autour du thème « Death and Resurection ». avec l’Orchestre National de France dirigé par Cristian Măcelaru. Au programme : les Danses symphoniques nostalgiques de Rachmaninov, l’expressive Taras Bulba de Janáček et le virtuose Concerto pour piano pour la main gauche de Ravel, avec le pianiste Boris Giltburg comme soliste. En signe de solidarité avec le peuple ukrainien, le concert  a débuté  par l’Hymne 2001 du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov. Ce concert serait-il l’occasion de réfléchir sur l’absurdité de la guerre ? En mode ralenti, s’élève une sorte de sérénade contemplative  toutes cordes confondues, progressant vers un  contraste absolu entre violoncelles et contrebasses et des violons au sommet des aigües… Une définition de la douleur?

Ensuite le chef d’orchestre se mue d’un coup  en personnage mythique . Il  est le terrible Taras Bulba d’après Gogol.  La  spectaculaire rhapsodie se déroule dans de superbes sonorités, avec un sens aigu du suspense, une harpe volubile, des accords secs bien marqués, des gestes passionnés, une atmosphère aussi pittoresque que dans Pierre et le loup. La masse de violons déborde de puissance, les trombones éclatent, la débandade s’organise.  Soudain, on passe de la musique syncopée à un rêve poétique, un murmure du cœur,  un choix possible, celui de l’amour?  Les cors et les percussions n’ont pas dit leur dernier mot, ils se disputent la parole  pour atteindre le paroxysme guerrier ponctué de ‘impressionnants coups de maillets,  des silence et des vents lugubres. Mais toute guerre se conclut par la paix. C’est ce que veulent les cloches, que l’on panse les blessures et cors et harpes n’en finissent pas de finir pour signer et contresigner … la paix? Enfin!

Entrée de Boris Giltburg qui  est acclamé dès son entrée en scène. Une scène des  Bozar qu’il adore. Tant de souvenirs depuis son premier prix du Concours reine Elisabeth, en 2013 !   On le sent très ému devant ce public qui l’attend! Il jouera Concerto pour piano et orchestre, pour la main gauche de Ravel.  Une commande de concerto  du pianiste Paul Wittgenstein frère du philosophe  qui avait perdu le bras droit durant la  première guerre mondiale sur  le front russe.  Boris Giltburg, le bras droit dans une invisible écharpe  nous plonge tout de suite,  avec une force titanesque dans les sombres grondements, les ténèbres grinçantes,  de la partition. Comment fait-il pour racler ainsi en même temps les codes du ventre du Steinway ? Sa prestation est un formidable tour de force, qui exprime tout le désespoir que nous inspire la guerre. Il exécute un solo d’Orlando Furioso avec un sens épique hors du commun ?. L’Orchestre lui répond avec des plaintes tragiques qui se -mutent en colère sourde. Le piano, seul rêve de douceur innocente, le toucher délicat semble effeuiller des pétales de fleurs. Un hautbois gracieux ? Mais voila que la main de fer tambourine le clavier . Une marche guerrière inonde la salle Henry Le Bœuf. La main gauche s’engage à corps perdu, avec force, puissance et détermination. Une véritable déflagration se tait devant des chants d’oiseaux. Les violons altos se mute en horloge du destin, on croit reconnaitre le rythme du Bolero, Des castagnettes ? La fureur se heurte à l’humour. Le public est sous le feu d’une spectaculaire déflagration et regarde, plus qu’il n’écoute, fasciné. Courbé en deux, c’est son habitude, le pianiste fait corps et âme avec le clavier, la musique  relie une salle subjuguée, même au pire  de la  tragédie qui recommence. Boris extrait l’élixir des basses, puis nous embarque sur un crescendo de douceur qui dessine les multiples visages de l’humanité et des anges. Il n’y a qu’une main, on en entend quatre.   Il semble avoir atteint  un parfait mimétisme posthume avec Ravel. En bis, une courte pièce cousues de larmes , le cri d’un peuple aux abois et des sonorités de fin du monde. L’empathie est totale, avant le déclenchement d’une ovation bien méritée.

Après la pause, c’est l’ultime chef-d’œuvre de Rachmaninov qui nous attend : ses nostalgiques  Danses symphoniques. Le chef roumain est habité par une énergie bondissante, il enjoint   aux  timbales des coups inquiétants qui semblent  scander  une marche fantastique faite de miroitements chatoyants. La nostalgie slave côtoie des accents américains.  Son  regard incandescent  fouille l’orchestre avec force et intelligence,  son corps  se lance tous azimuts pour cette  marche fantastique, dans laquelle se déploient de  surprenants  effets orchestraux,  depuis les trépignements jusqu’à la douceur du sucre d’orge. Il tient au bout de fils invisibles ses 80 chevaliers de la musique.  Un hautbois dirige la valse des violons. La matière musicale prend tout l’espace, les sonorités sont larges et éclatantes. Le chef d’orchestre brasse les instruments tout en faisant corps avec une partition débordante d’émotions. On a tout le loisir de l’observer, maintenant que le couvercle du piano n’obstrue plus la vision. Cela tangue comme sur un navire, mais personne ne perd pied. Les respirations musicales chante une ode à la liberté ? Mais des tonalités nostalgiques glissent vers des souvenirs perdus du pays natal. Rachmaninov a tout emmené dans a baguette, et nous ensorcelle avec cette partition étourdissante. On croit  retrouver  le climat angoissant et crépusculaire  de La Valse de Ravel, des spectres du passé ? La dernière danse expose le combat entre la mort et  la résurrection. On est pris dans une sorte de course apocalyptique dans un fracas aboutissant à un tutti orchestral grandiose et explosif.

Dominique-Hélène Lemaire pour Arts et Lettres

https://www.klarafestival.be/

envie de revivre l’ambiance ?

2023: Save the date

Nous espérons vous revoir lors de la prochaine édition du Klarafestival, du 10 au 26 mars 2023.